Leny Escudero : 

Biographie détaillée

René Bourdier - Jean Rossigneux

 

 

Les biographes de vedettes ont la sûreté de main des maîtres de l'illusion. Regardez les manipuler leurs cartes - naissance... enfance... carrière... - sans quitter de l'œil le chapeau de leur style : à la fin de l'exercice, vous verrez sortir de celui-ci un portrait "en pied" du sujet. Si ressemblant, ce portrait, qu'il donnerait des complexes à nos méticuleux employés de l'état civil. Ainsi, en quelques secondes, apprendra-t-on de Lény Escudero qu'il est né à Espinal, en Navarre, le 5 novembre 1932 ; qu'il a grandi à Paris, nourri, comme trop d'enfants de Belleville, de vache enragée ; que l'âge pour lui, celui du certificat d'études, il a exercé nombre de "petits" métiers, apprenti, métreur, manœuvre, carreleur ou, que sait-on encore ? Ah ! Mais oui, chômeur jusqu'à un beau jour de 1962...

Trente années expédiées en quatre lignes, autant dire vécues pour la frime. Quant aux choses sérieuses, elles commencent avant le premier disque, les premiers succès, la carrière dont le "C", sous la chatouille de certaines plumes, se tient à grand peine de faire la roue.

Et tout est-il dit, qui était essentiel, en ces quatre lignes ?

Justement pas ! De son enfance de gosse déraciné, Lény Escudero ne s'est jamais vraiment éloigné. Il y revient parfois dans ses chansons pour s'interroger et méditer. Ainsi, dans "Malenfance": 

                                                                        "Moi qui rêvais étant enfant

                                                                          Que je vivrais plus de mille ans

                                                                          Que j'irais plus loin que le vent (...)"                                

à quoi font écho ces deux vers du "Royaume perdu" : 

                                                                        "Mon beau grenier est mort

                                                                          Trop petit pour mes rêves."

Il évoque le temps où il faisait ses classes de petit d'homme, construisant dans sa tête d'aventureuses caravelles à pleine cale chargées des épices de son imagination. L'adulte y a, d'évidence, son port d'attache. Aussi s'avouera-t-il, en retour d'une de ses explorations (réelles) du monde :

                                                                          "J'ai parcouru des continents

                                                                            ..............................................

                                                                            Mais c'est à toi que je pense

                                                                            Malenfance."

Car Lény Escudero est un grand voyageur, encore que, dans ce cas, "Voyageur" ne veuille rien dire. Homme de rencontres, d'échanges, c'est son prochain qui, en Afrique comme en Asie, en Russie comme en Amérique, requiert, dirait-on, sa présence et son amitié.

Mais revenons à 1962... Lény fait la rencontre du Directeur Artistique Léo Missir, et passe de l'état de carreleur, manœuvre ou... chômeur, à celui d'auteur compositeur interprète. Nous sommes à l'époque des "tubes" et des percées fulgurantes. "Pour une amourette" fait du nouveau venu une vedette. Une de plus ! Voire...

Tout juste adolescente, la télévision s'amourache de ce personnage pas du tout conforme au tout-venant d'alors. Un passage ? c'est à craindre. Souvenons-nous. Le rock s'en donne à pleine sono ; Johnny Hallyday est plus que roi : l'Idole des Idoles. Il faudra s'appeler Brassens pour que le cyclone vous respecte, Bécaud pour qu'il vous épargne, Aznavour pour qu'il vous permette de surnager. Qu'est-ce que ça peut bien peser, pris dans un tel ouragan, un Lény Escudero et sa dizaine de chansons ? On s'aperçoit très vite qu'il a le poids d'un personnage vrai. Cette découverte faite, on a très envie de le garder. La raucité de sa voix, le doux-amer de ses textes, la qualité de ses mélodies, distillent un mystérieux charme, comme ces brumes d'automne que l'on voit flottant sur les étangs.

La fortune est là ; et la gloire. A prendre, l'une et l'autre. C'est alors que l'enfance, interrogée, pousse Lény Escudero à tout quitter pour aller "plus loin que le vent". Obéissant à cette voix folle-sage, il part pour l'Amérique du Sud, par quoi commence son commerce avec les hommes des autres mondes. L'aventure ayant dévoré toute sa fraîche aisance, il rentre à Paris, n'y prend que le temps nécessaire à l'enregistrement de nouvelles chansons et, tranquillement, sans s'occuper d'autre chose, annonce qu'il entreprend un véritable tour du monde : Moyen-Orient, Cambodge, Union Soviétique, Israël, Japon, Pologne, Etats-Unis, plus  quelques escales oubliées. Décision d'autant plus "insensée", et courageuse, que la première puisque le "yéyé" qui n'a pu digérer toutes ses idoles d'un jour, est en train d'agoniser, laissant la voie libre.

Hélas ! Par mauvaise chance pour les entrepreneurs de spectacles, Lény Escudero n'est pas fabriqué du même bois que les excités dont on lui offre de prendre la relève.

Lorsqu'il rentre de ce périple, Lény a perdu quelques illusions "Le Tour du Monde") mais il s'est aussi débarrassé de pas mal d'idées reçues ou préconçues. Un autre voyage le conduira au Dahomey où, se souvenant de ses premiers métiers, il construira en pleine brousse une école "en dur" : "Une des époques les plus belles de ma vie, dira-t-il ; j'ai pu laisser derrière moi deux maçons qui savent maintenant tenir une truelle".

Aujourd'hui encore, il se montre plus fier de "ses" deux Africains que de ses chansons les plus réussies. C'est que si la vie lui avait déjà enseigné le prix de l'amitié, ses voyages l'ont fabuleusement enrichi. Déjà il n'était plus le même homme qui, au retour de son précédent voyage, osait lancer le sacrilège "Tant pis pour Verdun". Les aiguilles du temps ont cette fois pour de bon tourné : il écrit "La vérité", "Ma ville", "Les Saintes Marie-Madeleine", "Le royaume perdu", "Garde l'espoir", et deux titres majeurs qui en fournissent la preuve :  "Le tiers amour" et "Je t'attends à Charonne".

C'est le retour au métier. Les yeux saoulés par la vision poétique des plus beaux paysages du monde, le cœur débordant de tendresse pour tous les "malheureux", conscients ou non, habitant la planète, la tête emplie des luttes qu'il devra livrer aux côtés des plus lucides, des plus militants, il sait qu'il est maintenant armé : il ne sera plus, il ne veut plus être une "Star", mais un homme luttant aux côtés des autres avec ses moyens propres de poète-troubadour. 

1971, un 30 cm : un coup de maître, le prix de l'Académie Charles Cros. Le jury ne s'y est pas trompé : il couronne de grandes chansons parmi lesquelles : "Van Gogh" et "Le vieux Jonathan" laissent éclater la tendresse dont il déborde.

Mais la scène l'attend. Car il écrit pour le public, pour celui avec lequel il dialogue "Quand je m'arrêterai de chanter sur scène, je n'écrirai plus de chansons".

Eh oui ! il a beau dire "qu'il n'est pas fait pour chanter sur scène", qu"il y a l'impression "de se foutre à poil", qu'il s'y "sent traqué comme un lièvre un jour d'ouverture", il a besoin de cette chaleur humaine pour écrire, pour vivre sa vraie vie.

Mais le public qui a oublié les salles de spectacle au profit du petit écran de la télé, ne se bouscule pas au bord des scènes.

Que faire ? Dans les grands médias de l'audiovisuel, symboles de la religion culturelle de notre siècle, on rejette cet "étranger" qui a fait fi de toutes les lois du "show-biz" : "Vous voyagiez ? Nous en sommes fort aise ! Eh bien ! Ne chantez plus maintenant !"

Alors il va se battre. Il ne va pas courber l'échine, ni faire la cour aux grands maîtres du "métier" que sont les programmateurs radio ou les producteurs télé. Il va reprendre le métier par le début. Au temps où la plupart des vedettes ignorent qu'une scène existe hormis celle d'un plateau de télévision, au temps où le "trou noir" de la salle peuplée d'êtres vivants, n'est plus que celui, glacial et inhumain, d'une caméra, il prend son bâton de pèlerin, et chante sur les scènes de province devant, d'abord quelques centaines de personnes ébahies et puis, à mesure que le temps passe, devant des salles s'emplissant de chaleur humaine et d'êtres pensants.

Il chante ! Donc il écrit. 1973 c'est "Vivre pour des idées", "Pauvre diable", "L'an 3000", "Mon voisin est mort", "Si j'en ai vu", des titres dans lesquels il hurle, il dénonce, il se souvient...

Il se jette à corps perdu dans sa nouvelle mission de poète-militant. Il donne au public, de salles de plus en plus pleines, ses textes sans démagogie, qui forcent à se poser des questions et qui étonnent face au torrent de platitude déversé par sa majesté - télévision -.

1974, un autre 30 cm où avec "Une femme seule", "Merci mon adjudant", "Le poing et la rose", le "Bohémien" éclate "Le cancre".

Le public découvre un nouvel Escudero poète-comédien, poète tout court... La raucité de sa voix dans le parlé, augmente encore le poids de textes sans faille, où les mots de tous les jours se juxtaposent et s'entrelacent pour dévoiler à chacun de nous les vérités qu'il porte en lui depuis des siècles. Et la scène ne vit plus que par cette homme frêle qui, à l'instar de la grande Piaf, vous inspire tendresse et amour, mais qui, en plus, vous engage à combattre à ses côtés l'injustice et le malheur...

Le défi est gagné, le talent a eu raison des carrières-factices. Les salles de spectacles sont de nouveau pleines, acclamant celui qui prend la peine de "visiter" le public de ville en ville.  Il est de ceux qui "tournent" le plus. Il fait partie des "quelques uns" qui emplissent les salles alors que, curieusement, les "vedettes" de la télé ayant saturé le public, ne l'attirent plus hors de chez lui. Il force des êtres déshumanisés par la technique de l'audiovisuel et isolés dans la foule des grands ensembles ("Mon voisin est mort"), à se réchauffer aux feux de la scène sur laquelle il irradie.

Lény Escudero, l'homme des contre-courants, est devenu célèbre au temps du yéyé, en chantant des ballades, a reconquis le public en pérégrinant sur les scènes, au temps du spectacle télévisé...

Simple non ? Simple comme cet homme qui traverse la vie, comme il traverse la scène : droit, tout droit dans le noir, avec au bout, la lutte dont il se nourrit et les espoirs qu'elle porte en elle pour aujourd'hui et pour demain...

        "Demain ... qu'est-ce que ce s'ra chouette ... demain ... " (Le cancre)